Le rire sardonique: de la pathologie à l'étymologie - SERRATRICE

"Le rire sardonique: de la pathologie à l'étymologie "par M. Georges Serratrice, le 22 Octobre 2009

On connaît beaucoup de rires pathologiques et déjà en 1899 Raulin présentait à Paris une thèse monumentale sur ce sujet. Il rappelait notamment à ce propos l'anatomie d'un muscle spécialement dévolu au rire: le risorius « muscle rieur» de Santorini dont la contraction entraînait les « fossettes gélasines » (du grec gelaw : rire).

 

En revanche, il ne mentionnait guère le rire sardonique que dans le tétanos. A sa décharge, on doit se souvenir que ce n'est qu'en 1911 que Wilson devait publier dans le Lancet quelques cas personnels et une revue de cas antérieurs, publication qui fit attribuer son nom à cette maladie très particulière.

En effet, le rire dit sardonique s'observe en deux circonstances, le tétanos, la maladie de Wilson.

Le tétanos crée un fond de contractures permanentes et douloureuses à l'origine de trismus, de rire douloureux donnant un rire et un faciès sardonique avec des renforcements toniques et une participation des membres inférieurs qui se mettent en hyperextension et des membres supérieurs qui se fléchissent irrésistiblement.

La maladie de Wilson est une maladie rare, étrange, grave, d'hérédité autosomique récessive, traitable et due à une accumulation de cuivre en particulier dans le cerveau. Sa fréquence est de 5 cas par million d'habitants. . 

Ses caractères schématiques sont donc en relation avec un excès de cuivre dans l'organisme. Cet excès est dû à l'absence d'élimination du cuivre qui normalement doit se faire par la bile. La mutation d'un gène particulier (ATB7B sur le chromosome 13) empêche cette élimination. Le cuivre se répand dans les organes (le foie chez l'enfant, le cerveau chez l'adulte) et son taux diminue dans le sang.

Dès lors apparaît un syndrome neurologique: dystonie faciale avec rire facile et sardonique associée à un tremblement, une dysarthrie, un Parkinsonisme, des postures anormales.

Un anneau vert dit de Kaiser Fleicher apparaît dans la cornée par dépôt de cuivre. Des dépôts sont également visibles grâce à la résonance magnétique nucléaire dans divers points du cerveau (noyaux gris, thalamus, tronc cérébral, substance blanche).

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On peut dès lors se demander d'où vient le terme «sardonique». Les dictionnaires classiques s'accordent plus ou moins sur l'étymologie avec certaines divrgences.

· Larousse: Vient de sardonia herba, herbe de Sardaigne qui provoquait un rire fou. Sarde (= de la Sardaigne) est une langue romane parlée en Sardaigne.

. Robert: Herba sardonia renoncule de Sardaigne toxique manifestée par un rire convulsif.

. Littré: Rire « sardonien » ou sardonique.

o Au XVlème siècle Apium Risus appelé sardonia rend les hommes insensés: rire sardonien malheureux et mortel.

o Du grec: sarow gelaw , de sardo, île de Sardaigne, à cause du sardonium sorte d'herbe qui disait-on provoquait le rire sardonique .

.  Delaveau : (a mémoire des mot) donne une autre approche: o Le muscle risorius vient de « dérisoire»

o Mais sardanios signifiait grimaçant en dérivation de sairo: grimacer grincer des dents, contracter la bouche

o Toutefois, est mentionné également : effet toxique du renonculus sardonia herbe de Sardaigne décrite par Dioscoride.

 

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Tout est remis en cause par Giovanni Appendino (Université du Piémont).

Dès le VIIIème siècle avant JC., Homère parle d'un rire sardonique et beaucoup d'auteurs antiques incriminent les Sardes.

 

Les Sardes étaient un peuple d'Asie mineure. Sarde était la capitale du royaume de Lydie de richesse proverbiale, sur la rivière Pactole où roulaient des paillettes d'or sur des sables aurifères.

Cresus, roi de Lydie, attirait les intellectuels, Esope, Solon (qui devant l'opulence disait « ne dis personne heureux avant sa fin »). Pour la petite histoire, Cresus vaincu par Cyrus le Grand qui annexe la Lydie fut condamné au bûcher. Il prononça alors le nom du sage Solon. Cyrus informé de cette évocation épargna Cresus et en fit son ami.

Par la suite Sarde est prise par Alexandre le Grand puis devient Romaine en -1333, est détruite par un tremblement de terre en 17, relevée par Tibère, embellie par Hadrien, définitivement ruinée en 1402.

 

Des auteurs de l'antiquité rapportent que les anciens sardes tuaient rituellement leurs vieillards « ayant assez vécu» en les intoxicant avec l'herbe sardonique avant de les battre à mort ou de les pousser du haut d'une falaise.

Appendino pense avoir identifié cette herbe parmi les espèces d'Oenanthe, genre qui fournit les plantes les plus toxiques d'Europe. Parmi les toxines, ils isolent par chromatographie l'oenantho-toxine et son dérivé la dihydro-oenantho-toxine qui a un effet sur les récepteurs neuronaux du GABA.

Mais c'est seulement en Sardaigne qu'il trouve l'oenanthe safranée (oenanthe crocata) dont les racines contiennent dix fois plus de toxines et sont convulsives. Ces racines sont les seules des oenanthes ayant un goût doucereux et agréable. D'ailleurs l'étymologie grecque d'oenanthe signifie « fleur de vie» ce qui est sans doute une allusion à l'ivresse mortelle.

 

 

En conclusion, l'étymologie exacte du rire sardonique reste ambiguë et cette chronique eut pu être intitulée « Des sardes (d'Asie Mineure) aux Sardes (de Sardaigne) ».

 

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